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Lester Willis Young surnommé le
Prez (le président) (
27 août 1909 -
15 mars 1959) est un
saxophoniste,
Clarinettiste et
Compositeur,
américain de
Jazz.
Style et légende
Lester Young ne fut pas surnommé "Prez" pour rien : il fut en effet l'un des musiciens de
Jazz les plus influents de tous les temps, tant par son jeu révolutionnaire que par sa personnalité. Dès ses premiers engagements avec
Count Basie, à une époque où le jeu agressif et puissant de
Coleman Hawkins définissait le son des saxophonistes de jazz, Young lui opposa des solos aériens, semblant flotter sur le tempo de l'orchestre, tels des volutes de fumée. Sa connaissance profonde de l'
Harmonie, très rare à l'époque - il n'y avait pas d'écoles de jazz ! - lui permettait d'improviser dans toutes les situations, et il était connu pour ne jamais se répéter d'un
Solo sur l'autre, ce qui constitue l'idéal absolu d'un musicien de Jazz.
Restant totalement au service de la chanson - il affirmait qu'on devait pouvoir "entendre" les paroles dans la mélodie instrumentale, Young fut une influence majeure pour nombre de musiciens de son époque qui rêvaient d'un Jazz plus doux et élégant, s'opposant entre autres au be-bop. Ce fut notamment le cas du mouvement "Cool jazz" des Années 1950, institué par Miles Davis.
Si Lester Young était un musicien extrêmement original, sa vie elle-même n'est pas en reste. Personnage excentrique, il aimait à parler de manière codée pour n'être compris que de son cercle d'amis et impressionner les autres, et à s'habiller de manière originale - il ne quittait presque jamais son fameux chapeau "Pork Pie Hat". Lester Young reste aujourd'hui connu pour avoir été le premier d'un longue lignée de jazzmen originaux à forte personnalité. Cette influence s'étend sur le monde du jazz tout entier, à commencer par Charlie Parker et Dizzy Gillespie, qui furent tous deux de grands fans du "Président".
Biographie
Une jeunesse sous le signe de la musique
Lester Young est né à Woodville, dans l'État du
Mississippi en 1909. Il est plongé dès son enfance dans la musique, à travers son père, Willis Handy Young, qui dirige un orchestre de musique scénique, et son frère Lee Young, batteur remarquable. Avec plusieurs autres parents, tous musiciens professionnels, ils forment un groupe familial de
Minstrel show qui tourne dans le circuit du Vaudeville. Alors que Lester est encore enfant, sa famille déménage à
La Nouvelle-Orléans en
Louisiane, puis à Minneapolis. Son père lui enseigne la trompette, le
Violon, et la
batterie, en plus du
Saxophone, afin de lui permettre de se produire avec le groupe familial. Il le quittera en
1927, refusant d'accompagner les siens en tournée dans les états du Sud où règne la loi
Jim Crow.
Prez à Kansas City : l'envol
En
1928, Young se consacre définitivement au
Saxophone ténor, instrument sur lequel il développe un style personnel très doux et aérien, à l'opposé de celui de
Coleman Hawkins, que tous cherchent à l'époque à imiter. Il s'installe en 1933 à Kansas City, capitale du jazz en même temps que du jeu, de la prostitution, de la drogue et du trafic d'alcool - à cette époque, la
Prohibition fait la fortune des gangsters de tout poil à travers les États-Unis. Après avoir fait partie de plusieurs groupes, il est engagé en
1936 dans l'orchestre du grand
Count Basie. Il fait la connaissance de plusieurs personnes qui vont marquer sa vie à jamais, notamment la chanteuse
Billie Holiday, avec qui il vivra une forte amitié et une grande complicité musicale, et
Teddy Wilson, qui dirigera les petites formations où Billie et Lester vont pouvoir exprimer leurs talents. C'est à Billie qu'il doit son surnom de
Prez, le Président du saxophone ténor !
En effet, entre temps, Young a gagné ses galons en se mesurant à Coleman Hawkins lui-même dans les jam sessions de Kansas City, qui sont autant d'affrontements acharnés où les réputations se font et se défont très vite. Lester y gagne le respect et l'admiration de ses pairs en tenant une nuit entière face au géant Hawkins, qui d'après la légende s'enfuit au petit matin, épuisé et stupéfait de ne pouvoir éliminer cet étrange concurrent au jeu si léger...
Young quitte finalement le groupe de Basie fin 1940, d'après la légende car, étant fort superstitieux, il refusa de jouer un vendredi 13. Il crée ensuite plusieurs petites formations, souvent au côté de son frère Lee, qui lui fournissent le cadre idéal pour son jeu révolutionnaire. Il enregistre plusieurs disques au cours de cette période, notamment avec Billie Holiday et, en juin 1942, Nat King Cole. En décembre 1943, Young réintègre l'orchestre de Count Basie pour un engagement de 10 mois, interrompu par son service militaire, événement qui devait bouleverser à jamais son existence et son art.
Service militaire et renaissance précaire
Étant constamment en mouvement entre les lieux de leurs différents engagements, les musiciens de jazz de cette époque parviennent souvent à échapper à leurs obligations militaires rien qu'en se révélant impossible à trouver. En septembre 1944, Young, en compagnie du batteur Jo Jones, est pourtant rattrapé par l'armée américaine alors qu'il est à Los Angeles avec Count Basie. Contrairement à la plupart des musiciens blancs de l'époque, intégrés à des fanfares militaires, il est mobilisé dans l'armée régulière, à laquelle il se révèle singulièrement inadapté. Tête de turc de ses supérieurs depuis qu'ils ont découvert qu'il est marié avec une femme blanche, il tente de tenir en faisant un usage massif de
marijuana et autres
drogues, ce qui lui vaut d'être emprisonné pour insubordination et usage de
narcotiques. Cette expérience des prisons militaires, qui donnera naissance au morceau
DB Blues (
Detention Barracks Blues) le marque considérablement, certains historiens affirmant même qu'elle détruit une grande partie de son potentiel créatif. Il plonge progressivement dans la dépression. Pourtant les années suivantes sont loin de constituer un déclin : à sa démobilisation, le producteur
Norman Granz le prend sous son aile au sein du Jazz at the Philharmonic. De 1945 à 1947, il enregistre des faces historiques pour le label Alladin à la tête de petites formations comprenant notamment le tromboniste Vic Dickenson et le jeune pianiste Dodo Marmarosa. Elles comprennent notamment
DB Blues et la version révolutionnaire de
These Foolish Things où Lester commence son improvisation sans exposition préalable du thème, ce qui constitue une première à l' époque. Les tournées du Jazz at the Philharmonic se multiplient et lui donnent l' occasion de jouer au côté de Charlie Parker en 1946 et 1949. Au sein du JATP, Lester offre un parfait contraste avec les ténors expressionnistes comme Illinois Jacquet et Flip Phillips qui participent à ces concerts-jam-sessions.
Les dernières années du Président
Au début des
Années 1950 le jeu de "Prez" commence à se dégrader. Ses solos deviennent moins imaginatifs, et il lui arrive même de se répéter en copiant ses propres enregistrements précédents, ce qui n'a jamais été le cas auparavant. Si on compare ses enregistrements de
1954 avec ceux de
1952 par exemple, on constate une dégradation de la maîtrise de son instrument, et même du tempo. Supportant très mal ces problèmes musicaux, Young commence à boire encore plus qu'il ne le faisait déjà, ce qui n'arrange pas les choses. Il sut toutefois tirer partie de la dégradation de ses moyens physiques pour transformer son art et le rendre plus intime. Il met ainsi en musique ses pulsions dépressives et laisse entendre aux auditeurs l'impossibilité à jouer la musique idéale. Toutes les failles, les béances présentes dans ses derniers enregistrements comme dans "
They Can't Take That Away From Me"(1958) ne sont pas uniquement dues à sa dégradation physique mais sont aussi de la propre volonté de l'artiste. Elles expriment à merveille sa mélancolie.
En novembre 1955, il craque et est interné en hôpital psychiatrique. Il en sort quelques mois plus tard pour connaître une embellie qui ne sera que provisoire. Mangeant de moins en moins et buvant de plus en plus, Young devient à partir de 1957 une sorte de fantôme nourri au Whisky, toujours au bord de l'effondrement physique et parfois trop épuisé pour pouvoir simplement soulever son instrument. Il parvient pourtant toujours à réaliser des performances d'une force émotionnelle hors du commun, comme celle de décembre 1957 au côté de Billie Holiday, qu'il n'avait pas revue depuis des années, et au cours duquel il livra un solo tout à fait brillant, tout en économie de moyens et en émotion.
Lester Young enregistra ses dernières faces un peu plus d'un an plus tard, en mars 1959 à Paris, au cours d'une tournée européenne qui dut être abrégée car il ne mangeait quasiment plus et buvait à longueur de journée. Il mourut dans la matinée du 15 mars 1959, quelques heures seulement après son retour à New York. Il n'avait que 49 ans. Le critique de jazz Leonard Feather raconta plus tard que, se rendant à l'enterrement de Young avec Billie Holiday, il l'entendit murmurer « je serai la suivante ». Billie suivit son ami de toujours dans la tombe quelques semaines plus tard, à l'âge de 44 ans.
Anecdotes
- Il aurait abandonné la batterie en s'apercevant qu'après les concerts il mettait plus de temps à emballer son instrument que les autres musiciens. Du coup, les filles partaient avec les autres musiciens, le laissant célibataire pour le reste de la soirée.
- Lester était très superstitieux. Un jour qu'il devait enregistrer en studio avec l'orchestre de Basie tout le monde l'attendait. Le patron l'appelle alors à son hôtel : "Qu'est-ce que tu fais ? Tout le monde t'attend". Lester dit alors : "On est vendredi 13. Je ne peux pas sortir, il va m'arriver quelque chose". "C'est fait, lui répond Basie, tu es viré !"
Citation
Je me souviens de Lester Young au Club Saint-Germain
; il portait un complet de soie bleue avec une doublure de soie rouge.
Georges Perec, Je me souviens, 4.
Divers
Les derniers jours de Lester Young ont fortement inspiré ceux de Dale Turner, le personnage principal d'
Autour de minuit, le film de
Bertrand Tavernier.
Discographie sélective
- 1937-1939 : The Complete Decca Recordings - Count Basie, GRP
- 1937-1946 : Complete Billie Holiday/Lester Young, Fremeaux
- 1938 : The Kansas City Sessions, Verve
- 1943-1944 : The Complete Lester Young on Keynote, Verve
- 1945-1948 : The Complete Aladdin Recordings, Blue Note
- 1952 : With the Oscar Peterson Trio, Verve
- 1956 : The Jazz Giants, Verve
- 1956: Pres and Teddy, Verve
- 1956 : Lester Young in Washington, D.C., Vol. 1-4, Pablo
- 1957 : Count Basie at Newport, Verve
- 1958 : Laughin' to Keep from Cryin', Verve
- 1959 : Jazz in Paris : Le Dernier Message De Lester Young, , Universal
- 1946-1959 : The Complete Lester Young Studio Sessions on Verve, , Verve
Morceaux choisis
- Shoe Shine Boy, 1936 avec le Jones-Smith Incorporated
- Lady Be Good, 1936 avec le Jones-Smith Incorporated
- Roseland Shuffle, 1937 avec le Count Basie Orchestra
- One O' Clock Jump, 1937 avec le Count Basie Orchestra
- This Year's Kisses, 1937 avec Billie Holiday
- Foolin' Myself, 1937 avec Billie Holiday
- Me, Myself And I, 1937 avec Billie Holiday
- Every Tub, 1938 avec le Count Basie Orchestra
- Swinguin' The Blues, 1938 avec le Count Basie Orchestra
- Way Down Younder In New Orleans, 1938 avec les Kansas City Seven
- All Of Me, 1941 avec Billie Holiday
- Sometimes I' m Happy, 1943 avec Slam Stewart, Guitare basse et Big Sid Catlett, batterie
- Lester Leaps Again, 1944 avec les Kansas City Seven
- Blue Lester, 1944
- Ghost of A Chance, 1944
- D.B Blues, 1945
- These Foolish Things, 1945
- The Man I Love, 1946 avec Nat King Cole, Piano
- I Want To Be Happy, 1946 avec Nat King Cole, Piano
- Slow Motion Blues, 1951 avec John Lewis, Piano
- On The Sunny Side of The Street, 1952 avec Oscar Peterson, Piano
- Pres Returns, 1956 avec Teddy Wilson, Piano
- They Can't Take That Away From Me, 1958
- I Can't Get Started, 1959
Vidéographie
Dans ce dernier film, Lester Young participe à une version bouleversante de
Fine And Mellow avec
Billie Holiday,
Roy Eldridge,
Ben Webster,
Gerry Mulligan et
Coleman Hawkins.
Bibliographie
Alain Gerber,
Lester Young, Fayard, 2000